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Un hiver à Venise

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Couverture :
Un écrivain français, Patrice Leroi, s’installe à Venise durant l’hiver dans l’espoir d’y trouver l’inspiration pour finir son roman. Il y rencontre Julia, une restauratrice d’art. Celle-ci fait une découverte surprenante dans l’église où elle travaille.
Mais loin d’entraîner le lecteur uniquement dans une intrigue à suspens, le récit met à profit l’action pour approfondir la relation naissante entre Patrice et Julia.
L’histoire de ces deux personnages est entrecoupée d’extraits du roman de Patrice (en italique dans le texte). Le cadre en est le Sahara, en 1902, alors que les Touareg ne sont pas encore pacifiés. Un lieutenant français tombe sous le charme du désert et s’éprend de l’envoûtante Tamouna.
Les deux récits, en apparence étrangers l’un à l’autre, finissent par se rejoindre …

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Prix : 20.- CHF, port en plus
Livre disponible seulement au Liboson, voir Contact ou Commander

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Extrait (pages 5-8) :

Chapitre 1

Je levai les yeux et aperçus le panneau « affittasi » avec un numéro de téléphone, accroché à un petit balcon en fer forgé. Il s’agissait d’un appartement à louer au dernier étage d’un immeuble un peu vieillot sur le campo San Margarita. La peinture s’écaillait ici et là, mais l’ensemble dégageait cependant une impression favorable. Situé sous les toits, au quatrième étage, sans ascenseur bien évidemment puisqu’on était à Venise, il semblait assez lumineux vu de l’extérieur, non que je fusse un inconditionnel des baies vitrées, mais le ciel d’hiver à Venise est déjà suffisamment sombre sans y ajouter l’obscurité d’une venelle humide. Je décidai de contacter l’agent immobilier pour visiter l’appartement.
– Pronto ?
– Pronto, vous parlez français ?
– Oui, un peu, répondit une voix avec un fort accent italien.
– C’est pour l’appartement à louer au campo San Margarita. Cela m’intéresse, pourrais-je le visiter ?
– Oui, c’est possible, diciamo questo pomeriggio, voyons, cet après-midi à seize heures je pourrais vous envoyer quelqu’un.
– Seize heures, dites-vous, cela me convient.
Je regardai ma montre, elle indiquait onze heures. L’heure de l’apéritif pour les Vénitiens. Je me dirigeai vers un petit café situé à l’autre bout du campo et m’assis à la terrasse. La température était agréable en cette fin d’octobre ; il y avait surtout des habitués, quelques touristes aussi, reconnaissables à leur plan en main et leur regard plongé dans leur guide touristique, à croire qu’ils ne s’arrêtaient dans un café que pour étudier les horaires des musées et les itinéraires. Ou alors, épuisés par leur course à travers la ville, ils récupéraient un peu d’énergie en ingurgitant sandwichs et bières d’un œil éteint.
Je commandai un gingerino sans alcool. J’en aimais la couleur vive ainsi que l’olive qui flottait dedans. Le serveur y joignit des chips, immédiatement repérés par les moineaux. Ce n’était pas tout à fait par hasard si j’avais choisi ce campo. C’était un quartier que je connaissais assez bien pour l’avoir fréquenté plus d’une fois lors de mes passages à Venise. Je souhaitais rester un peu plus longtemps dans cette ville que j’appréciais entre toutes pour finir un roman dont la fin résistait à mon imagination.
De temps à autre, alors que j’étais assis à cette même terrasse, j’avais aperçu une dame qui regardait la place depuis sa fenêtre sise au troisième étage de la maison dont je m’apprêtais à visiter l’appartement. Je l’avais même croisée un jour sur le campo. Elle était extraordinairement élégante. Une lourde tresse remontait en chignon sous son chapeau noir. Vêtue d’un costume de soie sauvage grise, taillé à la manière du début du siècle, avec un jabot de dentelle orné d’une grande broche, elle s’appuyait sur une canne à pommeau d’argent et, malgré son âge que j’évaluais à quatre-vingts ans, elle avançait perchée sur de hauts talons bobine. La perspective d’habiter dans son immeuble me réjouissait et, à vrai dire, m’inspirait déjà pour mon travail d’écriture.
Il me restait encore quatre heures à attendre. Je décidai de marcher un peu, comme j’aimais à le faire dans ces ruelles enchevêtrées où l’on se perd si facilement. Je me fixai un but – la Douane de mer – mais sans suivre un itinéraire. Ainsi cela me permettait de découvrir au hasard de mes pas un nouvel atelier, une galerie d’art, un point de vue surprenant révélé par une lumière ou un angle inhabituels, que savais-je encore. J’aimais flâner, j’aimais aussi m’asseoir et rêver.
L’avancée de la Douane de mer est un endroit exceptionnel, telle une proue de navire fendant les flots. On s’y sent en mouvement sans bouger. Il faisait chaud, je retirai mes chaussures, m’assis sur le rebord de pierre et laissai l’eau me rafraîchir les pieds. Juste en face de moi, sur l’autre rive, l’ange du campanile de San Marco brillait au soleil. Par le plus grand des hasards, j’avais rencontré l’homme qui l’avait recouvert de feuilles d’or quelques années plus tôt. L’ange était redoré tous les cinquante ans et de ce fait, un artisan doreur ne se voyait confier ce travail qu’une seule fois dans sa vie, pour lui une sorte de point culminant. L’homme que j’avais vu dans sa boutique près du campo dei Frari était intensément mélancolique. Il donnait l’impression d’avoir sa vie derrière lui et se morfondait en restaurant de vieux cadres, ce qui devait lui sembler insignifiant en comparaison de la fabuleuse aventure qu’avait représentée pour lui la dorure de l’ange du campanile que tout le monde admire aujourd’hui.
Je sortis mon calepin. Il me fallait continuer mon roman commencé plusieurs semaines auparavant et qui peinait à avancer. Mon éditeur m’avait précisé qu’il souhaitait recevoir le manuscrit au début du printemps. Si je pouvais louer cet appartement pour six mois, j’étais sûr d’y trouver à la fois le calme et l’inspiration pour terminer mon récit, d’autant plus qu’avec la venue de l’hiver et des brumes sur la lagune, la Sérénissime, comme on appelait Venise autrefois, serait un cadre parfait. Je relus les dernières pages, écrites à Paris.

Le lieutenant dut se rendre à l’évidence. Ils étaient perdus. Il fit venir le Chaamba.
– Mon lieutenant, il faut bivouaquer ici. Il faut attendre la fin du vent de sable.
– Nous reste-t-il assez d’eau que nous puissions nous permettre d’attendre ?
– Je pense que oui, mon lieutenant, répondit le sous-officier chargé de veiller aux provisions. Si nous réduisons les rations de moitié, nous avons pour six jours de réserve.
Le lieutenant donna l’ordre de bivouaquer. Il n’était pas fâché de s’arrêter. Il était harassé de fatigue et ses hommes aussi. Le vent du désert leur cinglait le visage depuis le matin et en quelques heures les avait desséchés bien davantage qu’une marche de deux jours dans de bonnes conditions. Rapidement ils dessellèrent les montures et entravèrent les pattes de devant étroitement. Il était hors de question de laisser les dromadaires s’éloigner pour brouter de maigres herbes. Avec ce vent de sable, le risque était trop grand de perdre les bêtes, car toute empreinte serait aussitôt effacée. Les hommes s’accroupirent à l’intérieur du cercle formé par les corps massifs des animaux et chacun tenta de se protéger le mieux possible du sable qui s’infiltrait partout, rendant chaque battement de paupière douloureux.
 

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